MODE D’EMPLOI : Qui est Françoise Héritier ? (1/2)
Françoise Héritier est une anthropologue et ethnologue française. Elle est âgée de 80 ans et est reconnue comme l’une des plus grandes chercheuses dans sa discipline. Cette reconnaissance lui a valu de succéder à Claude Lévi-Strauss au Collège de France.
Nous vous présenterons dans les séries à venir deux de ses contributions les plus importantes portant sur la question des rapports entre hommes et femmes. Le premier ouvrage, paru en 1996, s’intitule « Masculin/Féminin, la pensée de la différence » ; le second, paru en 2002, est la suite du premier et a pour titre « Masculin/Féminin II, dissoudre la hiérarchie ». Nous privilégierons dans un premier temps la lecture du premier tome – qui tient lieu du constat – avant de nous intéresser au second – qui, découlant du constat, s’occupe d’un sujet plus polémique, et surtout plus politique : indiquer les enjeux des temps actuels et à venir, livrer un combat pour dissoudre la hiérarchie.
« Masculin/Féminin, la pensée de la différence », Tome I, réunit douze articles publiés dans différentes revues scientifiques à comité de lecture entre 1979 et 1993. Tous abordaient cette question de recherche qui occupa l’auteur sa vie durant : « Quel est le fondement de la hiérarchie entre les sexes ? »
Les raisons de sa publication
Françoise Héritier cherche à comprendre les raison de cet invariant universel : l’inégalité homme/femme. Sans doute en tant que femme, cette différence la révulse. Elle y voit les racines du mal. Citant Voltaire « Les progrès de la raison sont lents, les racines des préjugés sont profondes », elle nous dit « Ce sont les racines que je voudrais exposer aux regards, à défaut de pouvoir les extirper » [p. 9]. En effet, Françoise Héritier a fait une découverte, qu’elle explicite dans son Tome II : Les femmes sont dominées de par le monde « brutalement et absolument dans certaines parties, de façon plus masquée dans d’autres comme le monde occidental » [p. 9]. Il fallait donc pour elle, au-delà de ce constat, se mettre à la recherche des constantes qui, depuis des millénaires, ont donné naissance à un système hiérarchique.
Indiquer les cibles
Son ouvrage est un immense constat, désespérant en certains cas (les « certaines parties » du monde) et plus sournois et inquisiteur en d’autres (le bien nommé « monde occidental»), car, oui, les femmes sont dominées, de façon masquée peut-être, en ce qui concerne le « monde occidental », mais sont dominées tout de même. Il importe ainsi de retirer le masque et de montrer la réalité sans fard de cette oppression systématique, conditionnée par les leviers les plus insoupçonnés de la société : les femmes sont dominées, et si, par aliénation, elles ne le reconnaissent pas ou s’en montrent satisfaites, c’est là une servitude volontaire qu’il importe de dénoncer également. Les gender studies peuvent alors entrer en scène. Françoise Héritier est une cartographe, une éclaireuse. Elle renseigne l’Etat Major, trace les sillons afin de marquer l’emplacement des tranchées. C’est pour cela qu’il faut la connaitre. François Héritier n’est pas un sniper mais un spotter – un observateur – le binôme qui désigne les cibles. Elle le dit elle-même « De la permanence des idées et des pensées de al différence ainsi mises à jour ne doit pas naitre le constat que tout effort pour faire disparaitre les disparité établies est condamné inexorablement à’échec, mais au contraire la certitude que pour mieux lutter, encore faut-il connaitre, pour adapter le combat, la nature de l’ennemi » [Tome I, p. 10]. Elle a déjà eu l’occasion de jouer plus concrètement au spotter lorsque, en 2012, elle se décida à entrer en politique. Car Françoise Héritier est de gauche. Elle avait intégré l’équipe de campagne de Martine Aubry pour l’élection présidentielle de 2012 où elle fut chargée de la thématique « Femmes ».
Qu’est ce que « la pensée de la différence » ?
D’autres que Françoise Héritier l’ont précédée dans cette volonté de « penser la différence». La raison généralement avancée par les sciences humaines pour expliquer par le passé cette faiblesse féminine universelle est la vulnérabilité du corps durant la grossesse, l’allaitement et le portage des enfants. Cependant, si cette faiblesse impliquait une protection, cette protection n’impliquait pas ipso facto la sujétion. L’explication courante de cette inégalité découlait d’autres raisons traditionnellement invoquées, et rassemblées par l’auteur : l’imperfection de la nature féminine et la violence des hommes.
Françoise Héritier s’inscrit en faux face à ces théories. Elle oppose une conviction : l’inégalité n’est pas un effet de la nature mais de la culture. Tout Françoise Héritier tient dans ce constat : « L’inégalité a été mise en place par la symbolisation dès les temps originels de l’espèce humaine à partir de l’observation et de l’interprétation des faits biologiques notables. Cette symbolisation est fondatrice de l’ordre sociale et des clivages mentaux qui sont toujours présents, même dans les sociétés occidentales les plus développées ». [Tome II ; p.14]. Bref, nous avons une vision « archaïque », dépendant « d’un travail de la pensée réalisé par nos lointains ancêtres au cours du processus d’hominisation » [ibid]. Ces représentations « fonctionnent dans nos pensée sans que nous ayons besoin de les convoquer et d’y réfléchir » [ibid]. Voilà cette racine du mal. Elle est profondément ancrée, on le voit, puisqu’elle remonte « au processus d’hominisation ».
Tout part de l’homme préhistorique …
Cette idée que la hiérarchie remonte au processus d’hominisation est très importante car elle comporte toute la croyance la plus centrale de l’auteur. Cette dernière ne se contente pas d’observer les sociétés. L’objet de sa discipline, l’anthropologie, c’est l’anthrôpos, l’homme ; et Françoise Héritier est anthropologue. La somme des invariants qu’elle observe à travers le monde lui permet de reconstituer les pensées les plus reculées. Bien évidemment, nous pourrions toujours vous dire que les Homo Sapiens sont apparus sur Terre il y a 200 000 ans, que la plupart des choses que l’on retrouve c’est des fossiles et des morceaux de cailloux et que, bien évidemment, pareilles sources sont assez minces pour connaitre les premières pensées de nos ancêtres, il n’empêche que Françoise Héritier ne s’embarrasse guère de pareilles considérations et qu’elle se permet tout de même de fonder ses observations sur ce principe « Il m’apparait que c’est l’observation de la différence des sexes qui est au fondement de toute pensée, aussi bien traditionnelle que scientifique. La réflexion des hommes, dès l’émergence de la pensée, n’a pu porter que sur ce qui leur était donné à observer de plus proche : le corps et le milieu dans lequel il est plongé ». [Tome I, chapitre I La Valence différentielle des sexes – La différence des sexes, butoir ultime de la pensée p. 19].
Voilà, il y a 200 000 ans, Homo Sapiens garçon regardait les fesses de Homo Sapiens fille et se disait qu’il était différent. A partir de là, tout s’emballe…
MODE D’EMPLOI : Qui est Françoise Héritier ? (2/2)
La question de recherche de Françoise Héritier porte sur le fondement de la hiérarchie entre les sexes. Pour y répondre, Françoise Héritier va faire œuvre d’anthropologue. Observant l’humain dans son ensemble, elle va fonder ses observations sur toutes les cultures du monde, partant en premier lieu, cela est classique pour tout anthropologue, de son premier terrain de recherche qu’elle a effectué chez les Samo, ethnie du Burkina Faso. Ses recherches s’intègrent au sein d’un des objets d’étude privilégiés par les anthropologues : Les systèmes de parenté. Il s’agit d’une notion essentielle de la discipline qui a occupé les réflexions de très nombreux anthropologues étudiant les « systèmes terminologiques », c’est-à-dire la manière dont, dans une société, un individu appelle ses parents, les appellations définissant le cercle des consanguins et celui des alliés. En bonne successeur de Lévi-Strauss, elle est structuraliste [nous renvoyons le lecteur à l’article wikipedia portant sur la question. Il est rigoureux et pertinent]. Cette position conditionne son travail puisqu’elle cherche tout d’abord à démontrer en quoi, au-delà de leur diversité, les systèmes de parenté sont des inventions culturelles qui brodent à partir d’un donné biologique élémentaire. En l’occurrence, une « donnée biologique élémentaire » c’est un homme et une femme qui se reproduisent.
Le rapport identique/différent.
« Le corps humain, lieu d’observation de constantes – place des organes, fonctions élémentaires, humeurs – présente un trait remarquable, et certainement scandaleux, qui est la différence sexuée et le rôle différent des sexes dans la reproduction. Il m’est apparu qu’il s’agit là du butoir ultime de la pensée, sur lequel est fondée une opposition conceptuelle essentielle : celle qui oppose l’identique au différent. » Cette « observation primale » est pour elle à l’origine de tout. Tout son travail est donc, en temps qu’anthropologue, de rechercher les dénominateurs communs de l’humanité, la source, l’origine, et, dans cette quête, elle n’est guidée que par son obsession de la différence homme/femme qui sous-tend tout. On retrouverait presque là la démarche théosophique des occultistes de la fin du XIXème siècle, Blavatsky en tête, qui cherchait à former le noyau d’une Fraternité universelle de l’humanité, sans aucune distinction de race, de couleur ou de croyance ; encourager l’étude comparée des religions, sciences et philosophies et faire l’investigation des pouvoirs psychiques et spirituels, latents dans l’être humain.
Evidemment, pareille démarche pose la question de la méthode (si, si, la méthode, cette notion étrange qui fait passer une discipline de la spéculation hypothétique à la science), car, un grand reproche que l’on pourrait formuler de prime-abord, c’est le fait de se focaliser uniquement sur ce seul invariant remontant à la préhistoire, un nouveau paradigme révisionniste en somme… N’est-ce pas un peu réducteur : l’histoire de l’humanité réduite à la seule obsession de la « pensée de la différence » ?
Une méthode éprouvée : la Parenté.
En explorant les différentes possibilités logiques et celles qui ont été réellement observées dans les sociétés humaines, Françoise Héritier fait une découverte : sans doute parce qu’en tant que femme, elle n’admet pas a priori l’idée de la symétrie entre les sexes, elle met en évidence un fait resté jusque là inaperçu, l’asymétrie dans le rapport entre germains de sexe différent. Le rapport frère/sœur est différent du rapport sœur/frère. Elle s’aperçoit en effet que sur les six combinaisons logiques possibles, une seule manque dans les sociétés humaines observées : celle dans laquelle le rapport aîné-cadet dans la fratrie concernerait la sœur (aînée) à l’égard de son frère (cadet). Cette découverte de cette inégalité, l’auteur l’appelle « la valence différentielle » des sexes, elle lui semble être inscrite dans la pensée de la différence et c’est l’objet de son premier chapitre. Cet injustice, en ce qu’elle est héritée des hommes préhistoriques irrigue toute la pensée humaine, et la corrompt. Pourquoi cette situation ? L’hypothèse de Françoise Héritier est qu’il s’agit sans doute là d’une volonté de contrôle de la reproduction de la part de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir si particulier. Pour le prouver, elle est donc allée inspecter tout ce qui s’y rapporte, vilipendant les occidentaux et se pâmant devant les Inuits (chez qui l’Identité et le genre ne sont pas fonction du sexe anatomique mais du genre de l’âme-nom réincarnée : Bref ! Soyez Inuit !). Brandir les Inuits lui permet de prouver que les représentations occidentales ne sont pas universelles, qu’ils ne sont pas générés par une nature biologique commune, qu’ils sont donc le produit de la culture, des constructions symboliques. Cela est important, car cela rend notre chère Françoise Héritier sceptique sur les avancées féministes du XXème siècle. Rien ne trouve grâce à ses yeux, pas même le droit de vote des femmes, tant que la pensée primale des hommes préhistoriques continuera d’irriguer et de pervertir tous nos systèmes de pensées, bref, tant que nous n’aurons pas ouvert les yeux sur cette aliénation ontologique de notre pensée.
Récrire l’histoire
L’idée la plus essentielle tient non pas à la racine, mais à son arrachage, à son déracinement. L’entreprise est-elle possible ? Oui. Car, aujourd’hui, les cellules reproductrices sont apparues sous les microscopes et les généticiens ont effectué des progrès considérables [oui, oui, c’est dans son livre !] Mais, pour que cet arrachage soit possible, il y a une condition « lutter individuellement et collectivement contre les privilèges d’une pensée acquise à partir des observations faites par nos lointains ancêtres et réitérées depuis » [Tome II, p. 15] Oui, vous avez bien lu « lutter individuellement et collectivement ». Pauvres ancêtres, s’ils savaient à quel point ils sont archaïques… Voilà pourquoi Françoise Héritier est dangereuse, elle ne se satisfait pas des petites avancées sociales, elle ne se satisfait pas des miettes de pain que les hommes laissent trainer, elle veut plus. Les conclusions sont alors limpides, il faut extraire la pensée préhistorique, il faut être méfiant à l’égard de tous les penseurs aliénés qui nous ont précédé. Il faut déconstruire une chose qui n’est pas naturelle mais culturelle, s’en affranchir, la rejeter. Les réflexes spontanés sont définis come des stéréotypes. Il faut reconstruire les enfants dès leur plus jeune âge, si une petite fille veut jouer à la poupée, il faut lui retirer des mains. Si une petit garçon veut jouer à la voiture, il faut s’offusquer. Préparez vous au grand chambardement de l’histoire occidental. Ready ? (non? tant pis) : GO !
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Je suis d’accord avec Françoise Héritier mais il faut aller plus loin encore et interroger en direct un collectif de lions et lionnes ou louves et loups.
les analyses de F Héritier sont en tous points convaincantes…
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